CarvalhoCette année, un bloggeur de www.Hetiskoers.nl était persuadé d’avoir fait une rencontre unique avec un ex-coureur du Tour de France, originaire de la Corrèze. Il ignorait qu’un autre bloggeur de Hetiskoers l’avait précédé.

Par Wibe Balt, Martijn Sargentini et Agnès Plazier


Brive-la –Gaillarde, le 2 mai 2012

De vieilles dames en tablier nylon passent devant moi, bras dessus, bras dessous, portant leurs courses dans des poches en plastique;  moi qui songe à demain en buvant mon café et en parcourant l’équipe.
Je repense à ce dépliant poussiéreux aperçu à l’office du tourisme l’année dernière, qui annonçait la Gaillarde de Carvalho. En première page, la photo en noir et blanc d’un grimpeur de l’équipe Fiat en plein effort. Indiscutablement une photo de presse du Tour. La classe. Seuls les grands coureurs grimpent comme ça : Le corps, légèrement penché, anticipe le virage suivant. En danseuse sur les pédales.
Ce dépliant, je l’ai aperçu trop tard l’an dernier, le dernier jour des vacances de mai. Alors demain, moi, Wibe Balt, aventurier et citoyen du monde, je vais rendre une visite impromptue à Alain. Alain de Carvalho. Et je serai le premier Néerlandais à le faire !
Alain de Carvalho, Français d’origine portugaise, a grandi à Ussel, dans le département de la Corrèze. Un coureur talentueux, aux 50 victoires dont une dans le Tour de l’Avenir. Le mot talentueux est ici bien choisi. Son passage au statut de professionnel le confine au rôle de co-équipier. Un co-équipier magistral qui a couru le Tour de France entre 1978 et 1981. Pas de coureur plus fidèle qu’Alain entre Clermont et Brive. Pendant toute sa carrière, il sera loyal à son leader Jean de Gribaldy et à ses hommes de tête. Il sera porteur d’eau pour Joaquim Agostinho. Quelle équipe! Agostinho et Carvalho.

Carvalho_industrieterrein-bordBrive la Gaillarde, juillet 2005
C’est par hasard que j’entre dans la boutique, en quête d’un vélo qui me transportera, mes sacoches et moi, par delà les collines de la Dordogne. L’employée de l’office du tourisme m’a remis une liste des magasins de cycles. Cycles de Carvalho n’y figure pas. Décathlon si. Et c’est à côté de Décathlon qu’Alain a installé son magasin. Bernard Hinault s’est déplacé pour l’inauguration. Alain est tout fier de me montrer les photos, dans son bureau au fond du magasin.
Hinault, c’ est un nom connu. De Carvalho, inconnu au bataillon. Je chercherai une fois rentré à la maison.
Je repars avec un Orbéa à 27 vitesses. Sur la facture, son nom est inscrit sous le mien. Il a écrit Martin Sargentini. Les Français se trompent toujours en écrivant mon prénom, pas mon nom de famille. Aux Pays-Bas, c’est l’inverse.
Je lui laisse mon vieux Giant en acier avec ses 3 Sturmey Archer. Sûr qu’il m’a pris pour un fou (et il n’a pas tort !) de vouloir passer trois semaines en Dordogne à faire du cyclotourisme avec un vélo pareil.
De-Carvalho_StickerIl installe sans broncher un porte-bagage sur l’Orbéa et me souhaite bon voyage. Dès la première côte que j’attaque avec mon vélo estampillé de Carvalho, je contracte le virus de la grimpe. C’est cette même côte qui sera,dans l’autre sens, 7 ans plus tard, une descente vertigineuse vers la ligne d’arrivée à Brive, lors de la 18 ème édition du Tour.

Saint-Robert, le 3 mai 2012
La descente sinueuse qui mène vers l’Hermitage Rochas Couchaud, c’est un retour au Moyen Age. Une fois arrivé, on y découvre une ferme et ses bâtiments annexes, implantés autour d’une magnifique cour. La vue y est incroyable. En été, on peut y camper, y louer des chambres , y manger et, très important, on peut y pratiquer le cyclisme.
Une course qui débute à l’Hermitage est toujours pénible. C’est dans cette région de collines et de descentes qu’Alain de Carvalho s’est endurci pour devenir coureur du Tour. Des routes épuisantes, toutes en côtes, ni grandes ni petites, irrégulières. Un coureur y est toujours loin de chez lui, même s’il est presque arrivé.
Gerrit Jansen, Néerlandais, propriétaire de l’Hermitage, s’efforce chaque année de me concocter des parcours plus difficiles. C’en est devenu un jeu! Et pour peu qu’il en ait l’occasion, Gerrit, qui pratique lui aussi le cyclisme, m’accompagne. Son allure trahit son passé de vainqueur du Tour de Bemmel, une classique. Son frère Jopie a gagné dans la catégorie des plus de 35 ans.
Lorsque je parle d’Alain de Carvalho, on me conduit directement dans la cour. J’y vois un beau vélo de femme avec un autocollant sur le cadre Cycles de Carvalho – Brive. C’est bien sûr. J’ai localisé Alain de Carvalho et je vais aller le trouver. Je revêts ma plus belle tenue. Une fois sur le vélo, je réalise primo que je n’ai pas de question précise à lui poser, secundo que l’état de mon français s’est dégradé depuis 1997 et le bac. Peu importe. L’itinéraire qui me mène de Saint-Robert à la zone industrielle de Brive en passant par Yssandon la belle et le lac de Causse tient ses promesses. J’emprunte des routes sélectionnées pour le Tour du Limousin, Paris-Nice ou le Tour de France. Ma vitesse est pure folie. C’est à peine si je mange et bois. La dernière portion est une route à grande circulation au bord d’une zone industrielle. Peu importe. Décathlon. Ce doit être là . Oui, c’est là, c’est bien là.
Le magasin a belle allure. Un garçon timide s’approche.
« Je peux vous aider ? »
« Non, euh si .Ça, c’est le magasin d’Alain de Carvalho ? »
C’est son fils. Et c’est bien son magasin. Alain est parti faire du vélo. Bien sûr qu’il pratique toujours. A un bon niveau même. Dans mon français approximatif, j’essaie de lui expliquer la classe de son père. Il m’observe avec un mélange de modestie et de méfiance. Je lui explique pourquoi je suis venu : Le maillot avec le nom de son père dessus.
Quelques minutes passent pendant lesquelles je prends peu à peu conscience de mon impuissance à me faire comprendre, je perds lentement confiance et tout à coup … le voilà qui entre.
La première chose qu’il me dit c’est que si je n’enlève pas mon vélo de là, je vais me le faire voler.
Il m’a adressé la parole, à moi, Wibe.
Ses jambes sont légèrement tordues. Logique, c’est un coureur des années soixante-dix.
La suite est étonnante : Par trois fois, j’affirme qu’il a été vingtième au classement du Tour de France, par trois fois, il me contredit. Il me fait visiter son magasin, me montre ses trésors, des bicyclettes fabriquées sur mesure. Il me parle de son idée : La Gaillarde de Carvalho qui met en scène le vélo et la Corrèze. Et la gas-tro-no-mie. Il ponctue chaque syllabe d’un geste de la main qui traduit sa délicatesse. Des chutes dans le Tour, il dit que c’est « la sélection naturelle ».Du moins, si je l’ai bien compris et je suis loin d’en être sûr. De Voeckler, il dit qu’il est toxique. Son corps n’est pas en équilibre et jamais il ne gagnera le Tour. Rolland si.
Une bonne condition physique s’obtient par une nourriture appropriée personnalisée. Qui n’exclut pas forcément un verre de vin. Je lui pose des questions qu’il ne comprend pas. Il me répond et je ne comprends pas. Peu importe, moi Wibe, je discute avec Alain de Carvalho, le bosseur toujours au travail pour les autres et je suis persuadé d’être le premier. Pendant toute notre conversation, je suis persuadé d’être le premier Néerlandais mordu de cyclisme à lui parler. Au moins le tout premier fidèle de www.hetiskoers.nl …

Lors du Tour de 2012, la veille du dernier contre la montre, le peloton arrive à Brive la Gaillarde. Juste avant la traversée de la ville, il y a une côte empoisonnée suivie d’une descente fulgurante. Et quand l’hélicoptère fait pivoter la caméra, sur la gauche, on découvre Décathlon.
Vous voyez ce petit bâtiment à côté ?
C’est le magasin de vélo Alain de Carvalho.

Carvalho_winkelSi vous êtes dans les environs, allez-y. Les photos dans son bureau valent le coup d’œil.

In het Nederlands.

Wibe Balt
Laatste berichten van Wibe Balt (alles zien)